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dimanche 5 janvier 2014
L INTERNATIONALISATION DE L ÉLITISME DU CRIME
Les élites, la démocratie et le chaos. Bienvenue dans l’International-élitisme
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Les terribles années que le monde a connues il y a 70 ans ont vu se développer deux systèmes totalitaires emblématiques, le national-socialisme en Allemagne et le stalinisme en Union soviétique. Un point commun, ces régimes étaient axés sur le complexe militaro industriel mais aussi sur un ensemble de dirigeants, cadre du parti, directeurs d’usine, administrateurs, dirigeants politiques. Ce temps est révolu puisque l’Occident et beaucoup d’autres pays ont emprunté les chemins de la démocratie. Le développement militaro-industriel n’a pas pour autant disparu. On le trouve bien ancré aux Etats-Unis, en France, au Royaume-Uni, en Israël, en Russie, en Chine. Et les élites ? Eh bien elles n’ont jamais été aussi triomphantes.
Dans quel monde vivons-nous ? Un univers globalisé, voué à l’économie, dirigé et dominé par des élites oeuvrant dans la plupart des secteurs porteurs de l’économie ; un régime global qu’on peut nommer International-élitisme, qui avec la participation des Etats gère une structure où les élites peuvent occuper des places pour commander, ou alors se servir du système pour en capter les richesses moyennant parfois une bonne visibilité. Les deux n’étant pas exclusif, les directeurs, gouvernants et managers étant sauf exception très bien rémunérés. A côté, on trouve la plupart des stars et autres célébrités dont les revenus tiennent à un « certain talent » mais surtout à la visibilité médiatique. Sportifs, acteurs, chanteurs, écrivains, cuisiniers, journalistes, artistes conceptuels… la liste est longue, mais ce monde privilégié sait s’organiser pour éviter les entrées intempestives des nouveaux. Filtrage des entrants et dispositifs pour maintenir le statut des anciens.
Cette réflexion sur l’International-élitisme a été inspirée en lisant un article écrit par un peintre et écrivain russe, Maxime Kantor, dont un extrait d’une longue tribune a été traduit dans le Courier International daté du 3 octobre 2013. Kantor élargit le propos en faisant certes le constat de ces nouvelles élites ayant remplacé la nomenklatura d’un autre âge mais qui, de droite et de gauche, défendent un même système, celui de la démocratie, en instillant la thèse que si les élites gagnent beaucoup d’argent, c’est bon pour le système. Les gens du peuple ont largement adhéré à cette thèse, se contentant d’occuper les nombreux emplois que le système propose pour des salaires convenables ou plus serrés. Ce sont les classes moyennes, avec bon nombre de travailleurs mal payés mais l’ensemble constitue une population dépolitisée, divertie ou abrutie par les médias, acceptant leur sort sans rechigner. Ce n’est pas un hasard si le constat lucide du monde est tracé par un Russe car son pays s’inscrit parfaitement dans cet esprit du temps qui vénère les stars et autres réussites de la « célébrité connexion » en consommant des produits de masse tout en ignorant les artistes qui ont la création dans l’âme et tous ces alternatifs culturels qui peinent à vivre dans les marges alors qu’ils peuvent prétendre à une vie décente et une reconnaissance. Chez les Russes, on offre la cuillère en argent à un Depardieu pour qu’il se délecte que la soupe qu’on lui sert avec les honneurs du régime. Et on laisse les artistes talentueux survivre en les ignorant.
Mais le propos le plus intéressant de Kantor concerne l’évolution des conflits. Il y a un siècle, les Etats se trouvaient parfois en guerre, mais c’était pour obtenir au final une paix, avec une partie victorieuse, un découpage des territoires et sur chacune des zones, le rétablissement des structures étatiques pour gérer les sociétés, ou alors, comme dans bien des pays périphériques, des efforts pour mettre en place des régimes locaux assez drastiques. Qui parfois étaient renversés, avec l’appui implicite des régimes démocratiques. Pour les diplomates d’il y a un siècle, la guerre n’était qu’une transition pour passer d’un état stable à un autre. Or, comme l’explique habilement Kantor, depuis les années 2000, la guerre n’a plus le même positionnement. Les guerres sont entretenues dans différentes parties du monde, elles circulent comme les capitaux et sont devenues des secteurs ordinaires de l’économie de marché. Si le chaos n’est pas créé par les Occidentaux, il n’en reste pas moins que les pays démocratiques ne font rien pour aider ces zones à évoluer vers la paix. Alimentant parfois le chaos comme on le voit en Syrie. Le Moyen-Orient était une zone instable que les Occidentaux n’ont pas aiguillé vers la paix mais plutôt orientée vers un chaos où se mêlent différents intérêts.
Comme le dit très bien cette formule de Kantor, le chaos a remplacé le totalitarisme. On pousse les mouvements de tous bords censés incarner le droit des minorités à se lancer dans la bataille, en faisant miroiter quelque partage du pouvoir ou du butin. Mais ces guerres civiles ne sont qu’un élément de la démocratie assimilée à l’économie de marché. Les territoires problématiques étaient placés sous tutelle ou mandat il y a cent ans. Maintenant, on se contente de gérer le chaos, avec ou sans intervention directe. Le chaos en Irak est un élément du marché, livré aux agences de sécurités et aux multinationales participant à la reconstruction. L’argent dépensé en Afghanistan est colossal pour des résultats minuscules en terme de paix. On continue les combats parce que l’objectif n’a pas été atteint dit la diplomatie mais l’objectif ne serait-il pas atteint grâce au maintien de ces combats qui font tourner l’économie. L’important c’est la guerre, du moment qu’elle est justifiée par la démocratie et qu’elle s’insère dans le marché. Pour le meilleur profit des élites trans-nationales.
Le système global a vu apparaître une nouvelle nomenklatura qui n’a rien de comparable avec celle de l’époque Brejnev, de 1964 à 1982, ni avec les capitaines d’industrie et les capitalistes, de l’ère Roosevelt à Carter, qui utilisaient la main d’œuvre ouvrière pour la production de masse. Il y avait l’exploitation certes mais souvent les élites des pays occidentaux étaient porteuses de valeurs qu’elles n’hésitaient pas à défendre. Les nouvelles élites de 1980-2010 se réclament des avant-gardes, de la libération des mœurs, de la démocratisation du monde, avec deux ailes, une de gauche, une de droite. Zizek et le post-communisme pour les uns, Bush et le néo-conservatisme pour les autres. Un esprit rebelle, de Chanel à Galliano, de Sting et Bono aux Stones. Pour d’autres le nez fixé sur la Bible ou le Coran, prônant le puritanisme. Et le partage du butin pour tous !
On comprend que la guerre désignée comme juste au nom de la démocratie et contre le terrorisme va de pair avec le marché, la finance, la technologie. Cette guerre est actuellement conçue pour devenir permanente, à l’instar d’autres fonctions sociales comme la police ou la médecine. Dans le monde globalisé, la démocratie s’amalgame au marché ou alors au parti unique si on est en Chine. Démocratiser ne signifie pas participer librement à la vie politique mais avoir l’accès aux marchandises et au travail. En Chine, en Russie, en Occident, le citoyen est sollicité ou invité à consommer mais il n’a pas besoin de penser et d’ailleurs dans les régimes les plus autoritaire, penser est interdit alors qu’en Occident c’est autorisé mais pas très bien vu par les maîtres du système. Dans certaines parties du monde, les individus ont accès aux conflits. Finalement, la guerre s’est démocratisée avec les armes qui vont avec et circulent aussi bien que les capitaux et les hommes. Que l’on soit shebab, touareg, salafiste, taliban, rebelle en Syrie ou en Libye, ou ailleurs, l’accès à la guerre se déroule comme l’accès aux smartphones et tablettes pour les civils de tous les pays. L’attentat perpétré dans un centre commercial à Nairobi symbolise la rencontre entre deux mondes, la consommation et la guerre, qui n’en font qu’un en vérité. Et l’on pourrait ajouter la santé. L’objectif du système n’est pas de guérir mais de soigner car ça rapporte plus.
On peut élargira le propos en incluant ce qui se ressemble à une guerre civile, entre des catégories de populations, ou entre des citoyens et les structures policières des Etats post-modernes. Cette autre forme de conflit se joue entre individus d’un même pays, ressemblant d’assez loin aux guerres que des rebelles bien armés mènent contre les régimes. Au final, nous vivons dans une « guerre civile » globale et sans fin conclut Kantor non sans avoir rappelé le travestissement de la démocratie sous la règle suprême du marché, avec l’affaiblissement des nations comme source de valeur et d’appartenance. Il n’y a qu’une seule patrie, c’est celle du voyageur dans le grand centre commercial qu’est la planète. Un seul impératif, être libre de consommer et de faire des transactions. Les grandes idées de la Renaissance ou des Lumières ont été ensevelies. Il reste les Etats mais ce sont des structures qui servent le marché, avec des élites souvent interchangeables. Les Etats qui ne sont plus au service des souverainetés populaires mais servent les intérêts des élites en premier, puis s’occupent des populations car il faut ménager les opérateurs si l’on veut que le système perdure. Le chaos est un ingrédient du nouvel ordre international, avec la guerre et la monnaie. L’International-élitisme est alors un autre versant du national-capitalisme qui a succédé à l’Etat providence.
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